Marc Porée, « Byron, bon pied bon œil », En attendant Nadeau

En attendant Nadeau

« L’événement que constitue cette traduction versifiée du Childe Harold de Byron est à marquer d’une pierre blanche. Tout y est heureux : le texte anglais, notes et préfaces comprises, en regard du français, la traduction que signe Jean Pavans, le cran et l’audace d’un jeune éditeur, Victor Blanc, bien aidé par la subvention du CNL, le livre, enfin, souple au toucher et d’une lecture qui transporte. Quant à Byron, on est ravi de le retrouver en aussi bonne forme, tel qu’en lui-même enfin… »

On ne présente pas Byron. Premier people, premier poète mondialisé, premier héros romantique… Un monde sans Byron, pour reprendre un procédé cher à Pierre Bayard (Et si les Beatles n’étaient pas nés ?), que lui manquerait-il ? Les héros byroniens (pardon pour le pléonasme !) : sans Byron, pas de « Corsaire », de « Giaour », de « Manfred » ; absence, aussi, de Darcy (Orgueil et préjugés), Rochester (Jane Eyre), Heathcliff (Les Hauts de Hurlevent), Claude Frollo (Notre-Dame de Paris), Achab (Moby Dick)… Un monde sans Byron serait moins libre, aurait moins de gueule (et d’insolence), manquerait de style, en un mot. Insistons un peu. En lui se croisent, en simplifiant beaucoup, Rimbaud, Che Guevara (pour son engagement aux côtés des Grecs sous la botte ottomane), Pasolini, soit autant de « bêtes de style », selon l’acception bien particulière que Marielle Macé donne à cette notion de style : « puisqu’il s’agit de viser des gestes, des espoirs, des configurations, des liens, des valeurs presque toujours conflictuels, et surtout de concevoir les sujets eux-mêmes (individuels mais aussi collectifs) comme les arènes de ces conflits ». Peu ou prou, Byron incarne, dans sa vie comme dans son œuvre, « relance stylistique, rénovation gestuelle, engagement permanent dans des allures et des usages » (Marielle Macé, Styles. Critique de nos formes de vie).

En effet, tout est style chez Byron, qu’on rapprochera en cela d’un Oscar Wilde. Styles au pluriel, surtout : avec Le pèlerinage de Childe Harold (1812-1818), il met en scène, pour la postérité, le « cancer romantico-lyrique », pour reprendre le mot de Ponge ; avec son Don Juan (1819-1824), parodique et tardif, il conçoit l’antidote absolu aux « embêtements bleuâtres du lyrisme poitrinaire » (Flaubert, à propos de Lamartine). Mais, en attendant de « crisper le mou » (Prigent), Byron cultive l’ambiguïté. Son personnage de jeune chevalier débauché et mélancolique, il le met au service, d’abord, d’un poème à clef. Multipliant les indices, comme autant de cailloux blancs semés en chemin, il injecte dans son récit en vers tel ou tel épisode de sa vie tumultueuse, faisant de ses lecteurs des voyeurs. Tout en niant farouchement que le Childe puisse être lui : son texte est à effet de sujet, dira-t-on, partagé entre la troisième et la première personne, pour un avant-goût d’autofiction. Dans une Europe assiégée, enfin, il donne matière à voyager. Exotisme et orientalisme sont les deux ressorts d’un art consommé du travel writing. Espagne, Portugal, Grèce, Albanie (où il est l’un des premiers Occidentaux à pénétrer), Grèce ottomane – le cap est au sud, plein sud même.

« De nouveau sur les eaux ! Oui, une fois de plus !
Sous moi les vagues bondissent tel un coursier
Qui connaît son cavalier. Salut au fracas !
Que la course soit rapide où qu’elle conduise !
Le mât peut vaciller comme un roseau, la voile
Être déchirée par les rafales, je dois
Continuer : je suis pareil à un brin d’herbe
Arraché aux rochers pour flotter sur l’écume,
Tout au gré des courants marins
Et du souffle de la tempête. » III, 2

En cette entame du troisième chant, on retrouve tout Byron, sa vie, son œuvre. Loin de l’abattre, le départ précipité d’Angleterre pour cause d’affaires et autres scandales sexuels le galvanise : la mécanique rouillée du Childe Harold se relance après un long silence. L’errance, l’exil, le nomadisme, ne seront plus, désormais, une pose, mais le principe actif d’une liberté retrouvée. En ce matin du monde, la quête de nouveautés diverses et variées, avec leur cortège de tourmentes et autres tourments, peut reprendre : Byron est l’homme des changements de pied et du rebond. Sa pratique de poète s’en ressent : de son propre aveu, chacun de ses vers reproduit le bond du tigre qui veut saisir sa proie. Si la strophe, si le bond, sont manqués, ni le poète ni le fauve ne reviennent en arrière. Mais pour peu que la réussite soit au rendez-vous, alors le lecteur est saisi. Qu’on se le dise, la poésie ne souffre pas la correction, dans tous les sens du terme.